La commémoration du centenaire de l’aérostation à Boulogne-sur-mer en 1883

En 1883, à Boulogne-sur-mer, comme dans d’autres villes de France, on célèbre le centenaire de l’aérostation. Les festivités commencent le 5 juin, date à laquelle les frères Montgolfier, cent ans plus tôt, procédaient à la première démonstration officielle de leur ballon gonflé à l’air chaud. Elles se terminent le 11 juillet, pour laisser place aux réjouissances liées à la fête nationale.

Le Comité des fêtes de la ville de Boulogne compte sur cette manifestation pour donner à l’ouverture de la saison balnéaire un lustre accru. En dehors des festivités habituelles : cavalcades, courses, régates, il sera procédé à une ascension en ballon au cours de laquelle François Lhoste et Jules Eloy tenteront de traverser le Détroit du Pas-de-Calais. La presse locale se fait l’écho de ce dispositif.

boulogne_station_balneaireLa France du Nord, 10 juin 1883 (Bibliothèque des Annonciades, Boulogne-sur-mer)

Dans la voie tracée par Pilâtre de Rozier et Pierre Ange Romain

Par ce projet de traversée de la Manche, les deux aéronautes, Jules Eloy et François Lhoste, se placent dans les traces de Pilâtre de Rozier et Pierre Ange Romain qui, en 1785, n’avaient pu mener à bien la traversée. A bord d’un aérostat associant un ballon à air chaud et un ballon à hydrogène, ils étaient partis dans des conditions météorologiques difficiles. A peine s’étaient-ils éloignés de la côte qu’un fort coup de vent les y avait ramenés. Espérant prendre de l’altitude en chauffant l’air de la première enveloppe, Pilâtre de Rozier avait provoqué l’incendie de l’enveloppe gonflée à l’hydrogène. L’engin était descendu en torche et s’était abîmé à Wimile, non loin de Boulogne-sur-mer. Les deux hommes avaient trouvé la mort dans l’accident. Les Boulonnais avaient été très affectés de ce désastre ; un sentiment diffus de culpabilité les habitait. Des lazzis avaient circulé sur Pilâtre de Rozier dont les préparatifs duraient depuis plus de six mois. De plus, Blanchard, plus prompt, venait de réussir la traversée de la Manche en partant d’Angleterre : la traversée du Détroit n’était donc plus une première. Pilâtre de Rozier et Romain, poussés par les quolibets et les dettes, avaient profité d’une accalmie météorologique pour tenter leur chance, malgré l’annonce d’un coup de vent à venir. La décision leur avait été fatale.

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Carte postale commémorant l’accident de Pierre-Ange Romain et Jean-François Pilâtre de Rozier le 15 juin 1785

C’est donc pour relever le défi que Jules Eloy et François Lhoste proposent à la ville de Boulogne cette traversée pour les fêtes du centenaire de l’aérostation. La ville de Boulogne, pour sa part, voit là une proposition qui peut la rendre illustre, et qui rappelle son rôle, quoique de façon malheureuse, dans l’histoire de l’aéronautique.

Jusqu’alors aucune tentative de traversée du Détroit dans le sens France/Angleterre n’a réussi : ni celle deTissandier et Duruof en 1868, ni celle du couple Duruof en 1874. Comme les deux tentatives avaient été faites au départ de Calais, ce peut être un moyen pour Boulogne de doubler sa rivale.

accident_epoux_duruofLe sauvetage des époux Duruof au large de la Norvège le 1er septembre 1874.
La Ilustración Española y Americana, 22 septembre 1874. Illustration de Bernado Rico y Ortega.

Pour bien marquer la filiation avec leurs prédécesseurs, c’est dans un ballon baptisé Pilâtre de Rozier que Jules Eloy et François Lhoste effectuent leurs premières tentatives. La presse nous apprend qu’ils l’ont fait fabriquer à leurs frais pour un coût de 7000 francs.

Par ailleurs, au cours de leur séjour à Boulogne, ils se rendent en délégation à Wimile et Wimereux où se trouvent respectivement le tombeau des deux hommes et une stèle indiquant le lieu de leur chute. Ils sont accompagnés de Wilfrid de Fonvielle, un spécialiste connu, attaché à la promotion de la navigation aérienne et aux découvertes scientifiques qui lui sont associées. Il fait pour la presse un compte-rendu de cette visite.

Lors de la conférence que les aéronautes donnent à Boulogne le 20 juin, la tentative de Pilâtre de Rozier et Romain fait l’objet d’un exposé.

La presse se fait le relais de cette filiation. Camille Flammarion fait paraître dans La France du Nord du 30 juin 1883, un article sur Pilâtre de Rozier. La revue intitulée La Saison de Boulogne-sur-mer publiée sous l’égide du Comité des Fêtes consacre elle aussi un article à Pilâtre de Rozier dans ses numéros des 21-22 juin, 23-24-25 juin.

Tout est donc mis en œuvre pour que le centenaire de l’invention de l’aérostation soit placé sous le signe de la traversée de la Manche et de Pilâtre de Rozier.

Les tentatives de traversée de Jules Eloy et François Lhoste

François Lhoste et Jules Eloy, sont connus dans les milieux aéronautiques et scientifiques.

François Lhoste est un jeune aéronaute qui s’est fait remarquer pour son sang-froid et son habileté. Acquis à la navigation aérienne, il n’a de cesse de la faire progresser. Il a procédé à des essais de stabilisation et de direction des aérostats. Il est membre de de l’Académie Météorologique de Paris.
Jules Eloy est chimiste de formation. Il est membre de l’Académie d’Aérostation Météorologique, de l’Association Scientifique et de l’Ecole Aérostatique de France. Lui aussi est acquis à la cause de l’aéronautique. Comme François Lhoste, il croit à son utilisation civile et militaire.
Tous deux ont déjà tenté une traversée de la Manche, sans succès.

La première tentative, au départ de Boulogne, est programmée le 5 juin 1883, jour de l’ouverture des fêtes commémoratives. Toutefois elle doit être repoussée en raison de conditions météorologiques défavorables.

lhoste_boulogne_5_juin_1883La France du Nord, mercredi 6 juin 1883 (Bibliothèque des Annonciades, Boulogne-sur-mer)

Elle a donc lieu le 6 juin. Malheureusement les aéronautes ne parviennent pas au but. Faute de trouver des courants favorables, ils sont ramenés à la côte au bout de huit heures de navigation et atterrissent près d’Etaples, à une vingtaine de kilomètres de Boulogne.

La seconde tentative a lieu le 8 juin. François Lhoste s’élève seul dans le ballon Pilâtre de Rozier. Les deux hommes se sont rendu compte que pour augmenter les chances de réussite, mieux valait disposer de beaucoup de lest, ce qui n’est pas possible avec deux passagers. Jules Eloy renonce donc à partir. S’élevant de l’usine à gaz, à minuit, François Lhoste est porté par des courants qui le mènent vers le nord. Il atterrit à Dunkerque. Il redécolle presque aussitôt pour l’Angleterre. Mais surpris par un orage au-dessus du Détroit, il s’abîme en mer. Il est heureusement sauvé par un lougre qui louvoyait dans le secteur, le Noémie, commandé par le capitaine Cauzic. Celui-ci le dépose à Anvers d’où il revient quelques jours plus tard.

lhoste_boulogne_8_juin_1883( La France du Nord, samedi 16 juin 1883, Bibliothèque des Annonciades, Boulogne-sur-mer)

La troisième tentative a lieu le 10 juillet. Jules Eloy et François Lhoste se proposent de voyager dans deux ballons distincts Le Céleste et L’Hirondelle. Le départ, initialement prévu sur la Place du Franc Marché à Bréquerecque, a finalement lieu dans le Jardin des Tintelleries. Lors du gonflement des ballons, on s’aperçoit que celui de Jules Eloy est très endommagé. Pas question qu’il prenne l’air. François Lhoste part donc seul, malgré des conditions météorologiques difficiles. Malheureusement, cette fois encore, poussé par un fort vent de Nord, il ne peut traverser le Détroit. Il atterrit en Belgique.

lhoste_boulogne_10_juillet_1883(La France du Nord, mercredi 11 juillet 1883, Bibliothèque des Annonciades, Boulogne-sur-mer)

Le jour de cette troisième tentative voit la clôture des fêtes du Centenaire à Boulogne.

François Lhoste procède encore à deux essais de traversée, les 14 juillet et 13 août 1883, cette fois, à partir de Calais. Mais là encore, il échoue.

Ce n’est qu’à l’automne que sa persévérance sera récompensée, et ce, au départ de Boulogne.

Le succès de François Lhoste

La sixième tentative de François Lhoste a lieu le 9 septembre 1883. Elle se fait à bord du ballon Ville-de-Boulogne, un ballon de petit volume (500 m3) fabriqué par l’atelier Lachambre, atelier réputé, installé à Vaugirard.

Le temps est beau. Sept cents personnes sont rassemblées dans le Jardin des Tintelleries où a lieu le départ. Beaucoup d’autres se sont postées dans le port et sur la falaise pour voir l’aérostat en vol.

Le remorqueur Le Faidherbe est prêt pour une éventuelle assistance.

A 16 heures, le ballon est gonflé. Des ballons d’essai, et des ballons de baudruche lancés pour l’amusement du public, indiquent que les courants aériens sont favorables.

A 17 heures a lieu le lâcher. Après une perte d’altitude, vite rectifiée par l’aéronaute, l’aérostat s’éloigne vers le large.

Il atteint la côte anglaise vers 22 heures. En raison du brouillard, François Lhoste décide de ne pas pousser plus loin son voyage car il craint de dériver vers la mer du Nord. Il se pose à 23 heures dans une prairie où paissent des moutons. Il est seul. Il dégonfle son ballon et passe la nuit à la belle étoile.

Le matin il se dirige vers une habitation proche où un fermier lui apprend qu’il est à Hent, un village situé à 20 kilomètres de Folkestone. Celui-ci lui propose de l’emmener lui et son ballon, en voiture jusque dans cette ville.

Là, François Lhoste prend le ferry de 13h10 et débarque à Boulogne à 15h.

La presse locale triomphe. La première traversée du Détroit dans le sens France/Angleterre s’est faite à partir de Boulogne. C’est une revanche sur le drame de Pilâtre de Rozier. On fait de ce succès un élément de gloire nationale : ce sont deux Français qui, les premiers, ont traversé la Manche en ballon : Blanchard, en 1785, dans le sens Angleterre/France, Lhoste en 1883, dans le sens France/Angleterre.

En 1896, on élève à Boulogne, dans le jardin des Tintelleries, un monument à la gloire de François Lhoste. On y voit la France, debout, montrant un ballon qu’elle envoie à l’Angleterre, assise.

monument_lhoste_boulognehttp://e-monumen.net/patrimoine-monumental/monument-a-laeronaute-francois-lhoste-boulogne-sur-mer/

Avant de quitter Boulogne, François Lhoste effectue encore deux vols. Un vol de démonstration pour la presse, le 16 septembre. Il est accompagné de M. M. Baret et Quettier, journalistes à La France du Nord. Le ballon se pose à Pont-de-Briques où M. Marmin, propriétaire d’un bal, offre le champagne. Le deuxième vol est mené à des fins scientifiques.

annonce_ascension_sept_presse(La France du Nord,  vendredi 14 septembre 1883, Bibliothèque des Annonciades, Boulogne-sur-mer)

Les conférences liées à la Commémoration du Centenaire

Les ascensions aéronautiques sont associées à des conférences sur l’aérostation. Elles ont essentiellement un but pédagogique. François Lhoste et Jules Eloy sont attachés à la diffusion des connaissances liées à cette pratique, de même Wilfrid de Fonvielle qui les rejoint à Boulogne.

Une première conférence a lieu le 20 juin. Au cours de celle-ci, Wilfrid de Fonvielle se livre à un exposé sur les avancées scientifiques en matière de physique et d’hydrographie rendues possibles grâce aux ascensions aériennes. Jules Eloy et François Lhoste font le récit de leurs ascensions. Malheureusement, si l’on en croit la presse locale, la conférence n’attira pas grand monde.

Le 10 juillet 1883, lors de la troisième traversée du Détroit, pendant le gonflement des aérostats, Wilfrid de Fonvielle se livre à une conférence sur les naufrages aériens tandis que Jules Eloy informe le public sur le fonctionnement des principaux engins en usage dans l’aérostation. Ces conférences-causeries au moment des départs n’étaient pas rares. L’attrait que le lâcher d’un ballon suscitait permettait de toucher une large frange de la population. Ce jour-là à Boulogne, le prix d’entrée dans la zone de départ avait été fixé à 1franc dans l’espace réservé et 50 centimes dans le reste du jardin, prix relativement modique qui devait permettre au plus grand nombre de venir.

Si l’objectif des conférences était essentiellement pédagogique, celles-ci permettaient aussi aux aéronautes de faire face, au moins en partie, aux dépenses que génèrent les vols en aérostat, notamment lorsque, comme dans le cas d’Eloy et Lhoste, il fallait de multiples tentatives avant de parvenir au but.Après les deux premières tentatives de traversée, ils estiment à 5 ou 600 francs la somme dont ils ont besoin « gaz compris » pour une future ascension.

Le gaz utilisé alors était le gaz d’éclairage. C’est pour cela que nombre de départs se faisaient dans les cours des usines à gaz. D’ordinaire c’étaient les municipalités qui prenaient en charge le coût du gonflement d’un ballon. Il était d’environ 150 francs pour un aérostat de 1000 m3. Les Archives Municipales n’ayant pas trace du contrat liant François Lhoste et la Ville de Boulogne, nous en ignorons les termes.

Les éléments empruntés au Centenaire de l’aérostation à Boulogne-sur-mer dans Les Amours d’un Prince (aussi intitulé Fantômas s’amuse)

La Commémoration du Centenaire de l’Aérostation à Boulogne a pu servir de toile de fond au roman de Pierre Souvestre et Marcel Allain Les Amours d’un Prince, aussi intitulé Fantômas s’amuse. C’est dans cette ville que les protagonistes se retrouvent lors du dénouement. On y fête la première traversée de la Manche en ballon. On a, pour ce faire, rassemblé des aérostats qui doivent s’élever dans les airs. La foule est au rendez-vous, l’atmosphère est festive, il fait beau. Mais en fin de journée un fort vent s’élève qui interdit tout départ de ballon.

Toutefois le texte romanesque, avec la fantaisie et l’outrance qui le caractérisent, prend bien évidemment ses distances avec la réalité. Ce n’est pas Pilâtre de Rozier que l’on fête mais Blanchard et Jeffries. La foule rassemblée est très dense. Les spectateurs sont venus en nombre de Paris et d’Angleterre, par trains et paquebots spéciaux. Ils s’égaillent dans la ville, aussi bien dans ses quartiers anciens que dans le port. Ce n’est pas au départ d’un ballon que l’on se prépare mais de vingt. Ceux-ci sont parqués dans la cour d’une école qui sert de huit-clos au dénouement.

En fin de journée, la foule déçue s’est dispersée. Les poursuivants de Fantômas, Juve et Fandor, s’introduisent dans cet espace, pensant débusquer le bandit. Mais ils se prennent les pieds dans un filet, disposé là bien sûr à dessein. Celui-ci se referme sur eux, tandis que l’aérostat auquel il est attaché, est brusquement libéré. Les voilà propulsés au-dessus de la mer, au cœur de la tempête. Fantômas a encore frappé !

Anne-Marie Cojez

Liens

Commémoration du centenaire de l’aérostation à Annonay
http://www.memoireetactualite.org/presse/07JOURNALDAN/PDF/1883/07JOURNALDAN-18830819-N-0002.pdf

Réédition de la traversée de Blanchard en 2014

http://www.lavoixdunord.fr/region/sur-les-traces-de-blanchard-trois-montgolfieres-survolent-ia33b0n2549068

Quand Fantômas s’invite à Boulogne-sur-mer pour les fêtes de l’aéronautique

Bibliographie

FIGUIER Louis. Les Aérostats, Librairie Furne, Jouvet et Cie Editeurs, Paris, 1887. Consultable sur http://archive.org/stream/39002011210649.med.yale.edu/39002011210649.med.yale.edu_djvu.txt

FONTAINE Raymond. La Manche en Ballon, Westhoek-Editions, Les Editions du Beffroi, Collection Histoire, 1982.

Aérostats nantais http://www.archives.nantes.fr/PAGES/DOSSIERS_DOCS/aerostats_nantais/pages/accueil.html

Documents

Archives municipales de Boulogne-sur-mer
Bibliothèque Municipale de Boulogne-sur-mer (site des Annonciades)